Appui impressionnant pour Québec et Lévis – villes sans fumée

Emboîtant le pas à la ville de Gatineau qui a déjà entrepris des démarches pour devenir sans fumée, l’Alliance pour la lutte au tabagisme de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches (ALTQCA) souhaite bannir l’usage du tabac des lieux publics de Québec et Lévis, incluant les restaurants et les bars. Selon un sondage Omnibus réalisé à la mi-mars par la firme Léger Marketing, les trois quarts des habitants de ces deux municipalités approuvent l’interdiction de fumer proposée par l’ALTQCA.

L’Alliance représente la population, les commerçants, les professionnels de la santé ainsi que divers organismes. Elle a mandaté Léger Marketing pour sonder un millier de personnes provenant principalement des régions de Québec (300) et Montréal (400). Sans équivoque, la question posée était la suivante : « Des démarches sont amorcées pour que les villes de Québec et Lévis deviennent des villes sans fumée (c’est-à-dire qu’il ne sera plus permis de fumer dans les restaurants, les bars et d’autres espaces publics). Diriez-vous que vous êtes : totalement d’accord, plutôt d’accord, plutôt en désaccord, totalement en désaccord, ou ne savez pas? »

Alors que 67 % des Québécois (province) sont en faveur d’une éventuelle interdiction de fumer à Québec et Lévis, dans la région concernée, 75 % des résidants interrogés appuient cette proposition. De plus, 55 % d’entre eux sont « totalement d’accord » avec le projet, tandis que seulement 12 % sont « totalement en désaccord ».

Protéger les travailleurs

« C’est pour protéger les travailleurs des restaurants et des bars de la fumée de tabac dans l’environnement (FTE) que nous avons décidé d’intervenir, indique le porte-parole de l’ALTQCA, Gilles Lépine. Je crois qu’ils sont les seuls salariés du Québec à être constamment exposés à la fumée dans leurs milieux de travail. »

« À l’heure actuelle, la Loi sur le tabac ne protège pas ces employés car les sections fumeurs et non-fumeurs sont séparées selon le bon vouloir des propriétaires, souligne-t-il. Ce n’est qu’en 2009 que les restaurateurs devront interdire complètement de fumer dans leur établissement, à moins d’aménager une section fermée et ventilée; et là encore, rien n’est prévu pour les bars. »

Pour assurer un environnement de travail sain et équitable à tous les travailleurs, l’Alliance pour la lutte au tabagisme souhaite voir instaurer une politique uniforme qui permette d’éviter les contestations juridiques. Le règlement convoité s’appliquerait autant aux restaurants, bars, salles de bingo, salles de billard, salles de quilles, qu’aux divers clubs sportifs ou sociaux, sans oublier les arénas et les terrasses extérieures.

Dans la province, les villes n’ont plus le droit de légiférer en matière de tabac depuis l’adoption de la Loi sur le tabac en juin 1998. Si le projet de l’Alliance est endossé par les municipalités de Québec et Lévis, plusieurs étapes devront être franchies avant de pouvoir adopter un règlement antitabac. Comme ce fut le cas à Gatineau, elles pourront demander au gouvernement provincial de renforcer, à court terme, la Loi sur le tabac, ou encore de redonner aux municipalités le pouvoir de réglementer.

Au cours des prochains mois, l’ALTQCA va s’affairer à recruter des partenaires intéressés à améliorer la qualité de l’air dans les lieux publics de Québec et Lévis. En plus de trouver le financement nécessaire à la réalisation d’un tel projet, elle participera aux divers débats que devrait susciter son concept, tout en informant la population des bienfaits d’une politique sans fumée.

Quelques faits sur la FTE

Troisième cause de mortalité évitable au Canada, la FTE contient plus de 4 000 produits chimiques dont plusieurs sont cancérogènes. Alors que les deux tiers de la fumée de cigarette n’est pas directement inhalée par le fumeur, un Québécois sur quatre éprouve des problèmes de santé occasionnés par la fumée des autres. Enfin, dans une pièce enfumée (comme par exemple un bar), le taux de pollution peut être jusqu’à six fois plus grand que celui d’une autoroute encombrée, indique un mémoire sur les risques du tabagisme passif, présenté par l’Alliance aux autorités municipales de Québec ainsi qu’aux membres de l’opposition.

En plus d’améliorer la qualité de l’air ambiant, l’aménagement de lieux exempts de « boucane » encourage les fumeurs à fumer moins, ce qui contribue à réduire le coût des soins de santé. « Chaque baisse combinée de 1 % de la prévalence du tabagisme et de la consommation quotidienne de cigarettes se traduirait à terme en économie minimale de 10 à 20 millions de dollars pour le système de santé québécois », rapporte le mémoire de l’ALTQCA, en se basant sur un rapport économique de la société Groupe d’Analyse.

Opposition de l’industrie

Bien que le projet de Québec et Lévis sans fumée n’en soit qu’à sa phase préliminaire, des germes d’opposition naissent déjà du côté des cigarettiers. « Une période difficile s’annonce pour les bars de Québec s’il devient interdit d’y fumer », titrait début mai, un communiqué de la Fair Air Association of Canada (FAAC) – que les groupes antitabac ontariens reconnaissent comme étant entièrement financée par l’industrie du tabac.

« Les interdictions de fumer au Québec auront un impact dévastateur sur le domaine de l’hôtellerie, de la restauration et des bars », prétend ladite Association dont le mandat est de vanter les bienfaits des salles ventilées pour fumeurs. « Or, il y a une solution pour protéger les petites entreprises de la faillite […] et cette solution, c’est la ventilation  », conclut-elle.

Toutefois, selon l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditionning Engineers (ASHRAE), qui établit les standards de pureté de l’air, « les normes de ventilation visent seulement à atteindre un niveau acceptable d’odeur de la fumée ambiante : elles ne sont pas conçues pour limiter les risques pour la santé ».

En mars, une étude de la revue Tobacco Control soulignait que l’industrie du tabac a investi des sommes considérables afin de faire miroiter la ventilation comme un compromis idéal aux environnements sans fumée. « L’instauration de lieux sans fumée pourrait réduire de près de 30 % la consommation de cigarettes, d’où l’importance pour les cigarettiers d’engager des chercheurs qui se prétendent faussement indépendants pour endosser leurs vues », concluent ses auteurs qui ont passé en revue d’anciens documents secrets de l’industrie. L’enquête, Tobacco industry efforts to prevent ventilation as an alternative to smoke-free environments in North America, a été menée par des chercheurs de la Californie.

Impact économique

Dans la région de Québec, plusieurs restaurateurs ont volontairement choisi de proscrire l’usage du tabac de leur établissement. Bénéficiant de l’appui de la Corporation des restaurateurs de Québec, l’ALTQCA fournit d’ailleurs dans son mémoire quelques exemples de restaurants dont les profits se sont accrus suite à leur nouvelle politique antifumée. Loin d’acculer les restaurateurs à la faillite, le document montre que dans le pire des cas, l’interdiction de fumer n’a tout simplement pas eu d’impact financier.

Ailleurs au Québec

La ville de Gatineau, qui demandait en février la permission d’amender sa charte municipale afin de pouvoir réglementer l’usage du tabac, attend toujours une réponse de Québec. Nul doute que les démarches entamées à Québec et Lévis sensibiliseront le gouvernement au fait qu’elle n’est pas seule dans sa croisade pour l’établissement de lieux publics sans fumée.

Josée Hamelin