Allan Rock propose des mesures réglementaires innovatrices

Près de deux ans après l’adoption de la Loi (fédérale) sur le tabac, le ministre de la Santé Allan Rock vient de dévoiler les grandes lignes de ce qu’il entend faire des pouvoirs réglementaires que la loi C71 lui confère.

M. Rock a choisi le lancement de la Semaine nationale sans fumer – pendant canadien de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac – pour annoncer une série de mesures censées faire du Canada un « chef de file mondial » dans le contrôle du tabac. Trois grandes initiatives sont proposées :

  • Suivant l’exemple de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral exigera des rapports beaucoup plus détaillés sur le contenu des produits du tabac et de la fumée qu’ils dégagent. De plus, les cigarettiers devront faire rapport sur leurs chiffres de vente par marque, de même que sur leurs activités de promotion et de commandite;
  • Les avertissements sanitaires occuperont beaucoup plus de place sur les paquets de cigarettes et seront modifiés pour mieux informer les fumeurs des dangers qu’ils courent en continuant de fumer;
  • La promotion des cigarettes aux points de vente (présentoirs, étalages démesurés, etc.) sera fortement restreinte.

Seule la première des trois initiatives est susceptible d’entrer en vigueur cette année, mais cette lenteur du processus – probablement inévitable – n’a pas empêché les organismes de santé d’accueillir très chaleureusement l’annonce du ministre Rock.

« Ça faisait longtemps – en fait, depuis l’adoption de la loi C-71 en avril 1997 – qu’il n’y avait plus eu aucune initiative positive du gouvernement fédéral par rapport au tabagisme », a commenté François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), pour qui M. Rock semble enfin avoir surmonté les difficultés politiques (dossier du sang contaminé, engagement d’exemption pour la commandite de courses automobiles) qui l’empêchaient de continuer le travail de ses prédécesseurs.

Même son de cloche chez Cynthia Callard de l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée. « Nous sommes plutôt contents de la direction (dans laquelle le ministre Rock vient de s’engager)… Mais il reste bien sûr beaucoup de chemin à faire. »

Le règlement proposé quant aux rapports à fournir par les cigarettiers constituerait effectivement une première mondiale permettant d’obtenir des renseignements beaucoup plus précis tant sur le contenu des cigarettes que sur la commercialisation du produit. Les rapports soumis au gouvernement de la Colombie-Britannique en octobre dernier créent déjà des vagues parmi les spécialistes internationaux du contrôle du tabac; conjugués à des rapports sur le marketing, ils pourraient donner des « radiographies » en temps réel de l’industrie du tabac.

Nouveaux paquets

Le nouveau système de rapports suscite l’enthousiasme des spécialistes, mais ce sont bien sûr les modifications aux emballages proposées par M. Rock qui retiennent le plus l’attention des grands médias et, sans doute, des fumeurs.

Le projet de règlement remplacerait les avertissements sanitaires existants (qui occupent 25 % de la superficie du devant de chaque paquet de cigarettes) par de nouveaux messages occupant 60 % de la surface et portant uniquement sur les substances toxiques que contient la fumée de tabac. Trois nouvelles substances, c’est-à-dire les nitrosamines, l’acide cyanhydrique et la 4-aminobiphényle, s’ajouteraient à la liste actuelle (oxyde de carbone, goudron et nicotine) de produits toxiques qui doivent être mentionnés.

En plus des chiffres sur le taux de chacune de ces substances, les paquets porteraient un message d’information au sujet d’une des substances. Parmi les messages envisagés, on retrouve :

  • « Les nitrosamines causent le cancer. Ce sont les agents cancérigènes les plus actifs dans le tabac. »
  • « L’exposition à l’acide cyanhydrique peut être la cause de maux de tête, de nausées, de vomissements et de décès. »
  • « Le monoxyde de carbone (sic) est un gaz incolore, inodore et toxique également présent dans l’échappement des voitures. »

Les avertissements sanitaires actuels déménageraient : on les retrouverait sur le côté de l’emballage, là où on voit actuellement les chiffres sur les substances toxiques. De plus, quelques-uns des messages seraient modifiés, et plusieurs nouveaux avertissements seraient rajoutés, entre autres :

  • « Fumer peut causer une mort lente et pénible. »
  • « Fumer, c’est un signe de faiblesse, et non de force. »
  • « 45 000 Canadiens mourront cette année à cause du tabac. »

Le fumeur continuerait de recevoir des informations en ouvrant son paquet, puisque l’intérieur du paquet contiendrait aussi un message à propos d’une des substances toxiques, de même que les coordonnées d’un service téléphonique sans frais d’aide à l’arrêt tabagique.

L’industrie du tabac a eu une réaction quelque peu schizophrène à cette proposition de règlement. D’un côté, elle dit envisager sérieusement une contestation judiciaire, voyant dans la proposition une expropriation en douceur des marques de commerce des cigarettiers. D’un autre côté, Rob Parker, président du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac, prétend que le nouveau système d’avertissements sanitaires n’aurait aucun impact sur le comportement des fumeurs.

Pourtant, signale M. Damphousse de l’ADNF, une des études réalisées pour le compte de Santé Canada dans le but d’évaluer le système actuel de messages de santé indique tout le contraire : déjà maintenant, pas moins de 40 % des fumeurs disent que ces messages les incitent à réduire leur consommation ou à faire une tentative de cessation.

Promotion aux points de vente

Le ministre Rock entend aussi s’attaquer à la promotion du tabac dans les dizaines de milliers de points de vente à travers le Canada, promotion qui, selon lui, vise à recruter de nouveaux fumeurs chez les jeunes.

L’industrie du tabac dépense 60 millions $ pour la promotion aux points de vente, constate le ministre. D’où la nécessité, selon lui, de bien faire la distinction entre « les communications légales destinées aux adultes », d’une part, et « le marketing auprès des enfants », de l’autre.

Cependant, conscient sans doute que la réglementation dans ce domaine pourrait provoquer des réactions très négatives des détaillants, M. Rock et son ministère se contentent pour le moment d’énumérer des options réglementaires.

Pour réduire la visibilité du tabac dans les points de vente, on pourrait par exemple :

  • obliger les détaillants à présenter tous les produits du tabac en un seul endroit;
  • limiter la surface d’étalage à X m2;
  • limiter le nombre de paquets présentés;
  • obliger les détaillants à placer les paquets de manière à ce que seuls les côtés soient visibles.

Il pourrait aussi y avoir des restrictions sur le genre d’affiches autorisé, allant de l’interdiction de l’utilisation d’images à la publication d’avertissements sanitaires.

Francis Thompson